Faire comme les autres je n’y arrivais
pas.
Ou alors que l’on m’ôte mon esprit. Que
l’on me formate les idées. Que l’on me forme à nouveau ou que l’on m’accorde
une autre vie où je n’irais pas plus loin que le collège, sinon pour faire un chauffeur
de petit taxi, circulant sans répit le long de la journée pour pouvoir payer le
prix de la location de l’ « agrément », cette autorisation
spéciale de rente octroyée par les autorités supérieures à des privilégiés qui
ne le méritent pas la plupart des cas et dont l’attribution ne répond à aucun
critère administratif ou légal et dont les bénéficiaires ne l’exploitent pas
eux même sinon les louent à leur tour à des investisseurs qui monopolisent le
marché du transport des petits-taxis; pour être instituteur dans l’enseignement
primaire affecté dans un bled perdu ou un village isolée dans une montagne ou
un désert, difficile d’accès et sans eau ni électricité et encore moins de
logement ; sinon enfin pour vendre des fruits et desserts aux coins des
rues sur des chariots tirés à la main à l’image des marchands ambulants ou des « ferrachas »
qui vendent par terre des misères : une conséquence flagrante et bien
significative du développement des métiers dans mon pays : des pratiques
qui servaient en réalité de moyen de vie autrefois pour des gens qui venaient
de la campagne ou qui n’avaient jamais été à l’école, sont devenues
actuellement des métiers communs puisque les chômeurs s’y sont ajoutés et les diplômés
aussi, piégés par un mariage précoce ou contraints de faire nourrir des parents
démunis et qui sont tombés à leurs charges.
Décidément c’est moi qui m’adapte
peut-être mal à ma société !
Ou alors je me complaisais bien dans mon
cercle familial compréhensif et dans mon univers personnel ou je m’adaptais le
mieux et d’où j’observais le reste du monde. D’où je suivais le court du temps,
je réfléchissais, je discutais avec les autres, je méditais aussi mon cas,
j’essayais de me comprendre, discerner la situation et comprendre les autres et
je continuais à espérer.
Toujours
espérer.
Surtout
espérer.
Se morfondre
dans l’espoir. Jusqu’à ce qu’on me fasse remarquer un jour que j’ai un cheveu
blanc sur le temple droit ! Et toc ! jamais je n’avais pensé auparavant
que moi, j’aurais des cheveux blancs. Hérédité oblige puisque j’en voyais mon père
dépourvu à l’âge qu’il avait. Je me réveille donc et réalise que le temps m’a
volé. Que je m’étais volé mon temps moi même car j’étais incapable de raisonner
cet espoir effréné.
Mais bien souvent, il faut le dire, au
début de mon calvaire, au temps ou je dégustais l’apéritif et alors que je ne
parvenais pas encore à réaliser ce qu’allait être ce temps perdu, alors je me
laissais emporter, m’illusionnant que mon tour viendrait un jour et que je
parviendrais bien à décrocher un emploi digne de ma formation supérieure ou du
moins un poste rémunéré décemment. Alors, à chaque fois que l’occasion se
présentait, je picolais avec les copains en plein air sur la colline
avoisinante et dominante à la sortie de la ville, les après-midis du dimanche en
suivant le reportage des matchs de foot à la radio sur lesquels on aurait
parié, et en finissant la soirée dans un des cafés du boulevard populaire pour
rentrer, chacun chez soi (chez ses parents je veux dire !) aussi
discrètement que des adolescents ayant peur d’être grondés parce qu’ils
rentrent tard ou parce qu’ils sentent le vin ou la cigarette. Seulement ce qui
se passait un dimanche devait être systématique au fil des jours. Aussi souvent
que l’argent de poche le permettait. Et sinon on se contentait d’une table dans
un café bien choisi pour passer le temps à lire les journaux et les éventuelles
annonces d’emploi ou à jouer aux mots fléchés et parfois aux cartes et au « rami »
en attendant des jours qui chantent.
Photo: Aujourd'hui le Maroc |
La « qahwa » dans la
culture populaire, chez nous, a pris une autre dimension que celle d’un site pour
prendre un café, un thé, un jus ou autre, ou pour se reposer un instant, le
temps d’une cigarette ou d’attendre l’ouverture d’une administration par exemple,
d’un rendez-vous ou d’un digestif après un bon repas. L’évolution naturelle de la
société marocaine a fait du « café » a priori un espace de passe-temps
par excellence. Le prix d’un petit café « cassé » , « crème »,
« nos-nos», « capo », etc. vous donne le droit d’y passer toute
une mi-journée, et – n’en parlons pas - si vous habitez dans le coin car vous pouvez y
rester tout le temps, vue la « sympathisation (si je puis écrire !)
» avec tout le personnel, les gars du comptoir, les serveurs et mêmes les patrons.
Au fait le « café » est devenu même un lieu d’importance socio-culturelle
non déclarée, qui, à force de le fréquenter à lui seul, un sociologue ou
enquêteur aurait la tâche facile s’il s’attaque à étudier la société marocaine et
bien l’illustrer.
Fréquenter d’autres lieux pourrait ne pas être à la portée du
pouvoir d’achat des gens. Et vue la structure sociale de la famille marocaine
où beaucoup de personnes partagent des petites chambres, les hommes et les
garçons cèdent l’espace et le temps à l’intérieur de l’habitation, aux femmes
et aux sœurs, en se camouflant dans un espace collectif fait essentiellement d’hommes
qui est le « café » du coin. Ainsi est-il facile de les retrouver si
on les cherche pour une besogne. Rares
sont ceux qui ne pensent pas passer au « café » en allant au boulot
ou en en revenant surtout dans le cas des fonctionnaires, qui profitent même
pour y faire un petit saut le temps d’une petite pause. On en profite pour voir
la clique de nos copains et ce qu’ils racontent. On s’y informe. On y passe des
tuyaux. On rencontre ceux qu’on cherche, des artisans par exemple, qui font du
café leur référence professionnelle. Les retraités aussi s’y retrouvent pour
jouer aux cartes ou aux dominos et nos chers maîtres enseignants qui constituent
à eux seuls un stéréotype bien connu de ceux qui cotisent pour commander une
théière pour tous autour de laquelle ils se mettent à plusieurs.
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