En tout cas, de mon univers bien paisible et tranquille je suivais tout ce qui se rapportait au problème de l’emploi. A commencer par les petites annonces d’offre d’emploi réelles ou créées de toute pièce ou seulement publiées parce que la loi le stipule. En passant par les nouveautés et les programmes annoncés par l’État dans des discours qui avançaient la priorité donnée, en second lieu, au chômage des diplômés en réponse à cette pression montante des partisans du droit au travail et des activistes sociaux.
On disait, en second lieu, tout de même, après
la première préoccupation nationale allouée à la question du « Sahara marocain
» autour de laquelle une unité nationale s’est soi-disant forgée et que toute
opinion, discussion ou idée qui va à l’encontre de cette vérité constitue un
délit et est passible de peine de prison. Tanto « Sahara marocain »,
tanto « nos provinces du sud » pour la consommation interne je m’entends,
car le terme « Sahara occidental » dans le jargon de la diplomatie internationale,
est stipulé de facto dans les documents officiels mêmes du ministère marocain des
affaires étrangères. Ce dossier a toujours le privilège de prendre le dessus sur
tous les problèmes du peuple depuis l’événement de la « marche verte »
en 1975.
La « Marche verte », cette grande fanfare de 350 000 Marocains transportés à partir de toute parts du pays par camions, train et cars vers le sud jusqu’à la porte du désert pour aller rejoindre le reste des populations sahraouies dans une marche à pied, question de mettre devant le fait accompli (pense-t-on dans les milieux populaires !) les espagnols qui occupaient le territoire appelé « Sahara occidentale » et que le Maroc réclamait comme faisant partie de son intégrité territoriale. Une grande organisation qui a mobilisé il faut le dire, des moyens logistiques énormes et colossales pour lister et comptabiliser, rassembler les personnes et les matériels, transporter, coordonner et nourrir la masse.
Alors que j’étais adolescent à l’époque et en sortant de l’école qui jouxtait un chemin de fer, je n’ai jamais oublié la joie et l’enthousiasme de cette population expédiée dans des wagons même de marchandise des fois, comme du bétail, qui scandait des slogans patriotiques et qui avait plein le ventre tellement ces gens nous jetaient sur leur passage des boites de sardines et des morceaux de baguettes de pain.
D’ailleurs les participants volontaires portant à la main le livre du Coran et un drapeau marocain et qui avaient répondu à l’appel du monarque, étaient motivés plutôt par une récompense tacite, une possibilité d’y avoir un lot de terrain et d’y vivre une fois « libérés » ces terres, avant de se désillusionner quand on leur a demandé de rebrousser chemin et que l’objectif était atteint. Reste à ajouter que ces mêmes volontaires ayant soi-disant servi la patrie, dans la majorité ont fini leur vie dans la misère et sans aucune considération notable.
D’ailleurs, cette grande épopée qu’on avait fait avaler au Marocains comme étant
un coup de maître pour avoir récupéré un territoire sans verser une seule goutte de
sang, des documents déclassifiés de la CIA datant de 1975, et mis en ligne en
2017 ont montré qu’il s’agissait en réalité d’un deal entre Rabat , Madrid et Washington: un plan
qui mettait en pratique comment Juan Carlos I, allait délivrer le territoire
sahraoui sous son occupation au Maroc, afin de jouir du soutien américain dans
sa prise de pouvoir, le dictateur espagnol Francisco Franco étant alors
mourant. Autrement dit la mission consistait à arracher le soutien
nord-américain pour ainsi éviter un conflit avec le Maroc qui pourrait lui
coûter sa couronne. De cette façon, les Américains ont négocié avec Hassan II
et finalement le pacte secret par lequel Juan Carlos livrerait le Sahara
espagnol à l’administration du Maroc serait signé. En échange les États-Unis
deviennent son allié. source Wikipédia
Ce fut un des rarissimes cas, celui des cheminots de l’ONCF (l’Office Nationale des Chemins de Fer) qui avaient entrepris une grève suite à l’appel de syndicats concernés - je m’en rappelle c’était dans les années 90 car un ami de mon cercle de l’époque était cheminot- mais n’ayant pas trouvé d’échos chez les responsables, ont eu recours à l’escalade comme il est de coutume dans le bras de fer entre les chefs qui commandent et qui font la politique et les subordonnés qui doivent s’y soumettre et exécuter. La grève commençait à durer dans le temps car les patrons ont préféré faire fi des réclamations de cette grande masse d’employés, qui assurent entre autres transport de voyageurs, celui de marchandises en l’occurrence la richesse nationale : le phosphate, et enfin de compte, après quelques mois, sans réponse et sans aucune considération pour cet événement, on peut facilement imaginer l’éreintement de cette grève jusqu’à l’épuisement totale. On fait traîner jusqu'à l'agonie et l'effacement.
Tel un condamné à mort qu'on a exécuté par suicide "placebo", qui agonise au son de l'échos qu'il pense de de son sang qui distille goutte à goutte dans un récipient mis sous sa nuque à cet effet.
Petit à petit, des travailleurs commençaient à reprendre volontairement leur travail sous les contraintes et les poids des charges sociales et surtout la peur de tomber dans le chômage notamment pour ceux qui avaient le statut « temporaires » et qui savent déjà ce qu'est le quotidien d'un sans-emploi. Que dis-je ? Le coût de grâce a même été donné par le chef suprême de l’État dont le discours qu’on avait annoncé comme par hasard, dans les médias sans occasion apparente et que le peuple naïf pensait qu’il allait apporter des propositions, appeler à la négociation pour débloquer la situation, ou du moins attirer l’attention sur l’impact socioéconomique de cette longue grève de cheminots, n’a fait aucune allusion au problème qui a secoué cette classe sociale et une partie du peuple avec, autant qu’il s’est attardé sur un détail de « la question prioritaire numéro 1 ». Qu’à cela ne tienne, on a fait de surcroit recours à la gente militaire pour faire la besogne à la place des mécaniciens et techniciens de train. En somme, une guerre froide qui s’est soldé par une douche froide chez nos compatriotes travailleurs syndicalistes, qui se sont vus obligés de reprendre tant bien que mal leur travail mais avec une grande amertume. Dans de pareilles circonstances, le poids de la société s’impose aussi.
C’était tout simplement le tour des cheminots cette fois-ci de subir cette double humiliation.
Non seulement on se moque de ce que tu réclames, de ce dont tu as besoin, mais pire, on sous-estime ton action et on ignore ta voix! On ne redoute jamais des conséquences de ces faits qui pourraient dégénérer un jour comme ce fut le cas du soulèvement du peuple en 1981 réprimé dans le sang par l'intervention militaire dans les rues de Casablanca, qui avait éclaté justement suite à une grève générale appelée par les syndicats suite à une augmentation dans les prix des denrées alimentaires notamment de la farine, constituant principal du pain du Marocain qu'il trempe dans la sauce de sa pauvre gamelle pour survivre dans un pays qui regorge de ressources naturelles. Cerise sur le gâteau, le fameux ministre de l'intérieur de l'époque "Driss Basri" est intervenu sous la coupole du parlement pour qualifier ces graves événements de "révolte de Komira" ("komira":pain dans le jargon populaire!) feignant ainsi ignorer que le pain c'est le quotidien du Marocain.
Les mêmes traitements, qu’on soit « chômeurs de leur État » , « employés de leur patron » ou " grévistes de leur syndicat" ou tout simplement " contestataires de leur situation".