Jusqu’au jour ou je découvre la « section locale » de l’ «A.N.D.C.M» (Association Nationale des Diplômés Chômeurs du Maroc ) de ma petite ville.
A ce sujet il est primordial et juste de préciser que les promoteurs de l’initiative de l’ANDCM nient toute relation avec la constitution du CNJA. L’ANDCM est le résultat d’une part, de la coordination des initiatives locales de dénonciation des difficultés d’insertion professionnelle des diplômés qui ont surgi depuis le milieu des années 1980 et, d’autre part, de la revendication que les autorités publiques assument leurs responsabilités. C’est l’article 13 de la Constitution marocaine qui fonde la revendication de l’ANDCM : la reconnaissance par l’État de ses obligations en matière d’emploi, et partant, du recrutement des adhérents.
Or, le CNJA, cet organisme, tel qu’il était annoncé officiellement, allait permettre la création d’une centaine de millier de postes annuellement. Et tel qu’il a travaillé, allait faire des recensements et des constats face auxquels il devait annoncer divers programmes d’insertion ou d’auto-insertion. Mais tel qu’a été la réalité, c’est la loi du « souk » qui a prévalu encore une fois.
Et pour une fois, les dirigeants ont été pris de court par ces jeunes bien
avisés, en adéquation avec leur environnement dans son contexte historique et ayant
bien compris que c’est d' « une lutte de classe » qu’il s’agit.
Cette extraordinaire association, a eu tant de succès que de notoriété au sein des villes, patelins, régions ou partout où une section locale était active ; se caractérisant par son organisation interne très démocratique, ses congrès réguliers, ses slogans et ses types d’activités novatrices, qui allouaient à un adhérent des qualités militantes dépassant celles d’un partisan de parti politique quel qu’il soit. Elle a fait parler d’elle au sein de la population par le terme de « diplômés chômeurs » dans le jargon local, introduit par la force des choses et qui avait comme connotation « chômeurs protestataires, associationniste, de l’ANDCM justement ! Sa réputation de se faire entendre et exister malgré l’oppression farouche depuis la dénégation de reconnaître la création par les autorités administratives et judiciaires jusqu’aux interventions musclées pour disperser les manifestants et faire peur aux autres non encore adhérents, venait couronner la légitimité de ses réclamations. Même en excluant les cas de dialogues imposés avec des responsables locaux (des caïds, pachas ou gouverneurs) ou avec des maires qui voulaient gagner du temps ou montrer une fausse bonne intention ce qui procurait à l’ANDCM, revers de la médaille, une certaine reconnaissance de fait aboutissant bon gré mal gré dans certains cas à des placements dans des postes municipaux ou à défaut à des acquisitions d’autorisations d’exploitation de kiosques ou des agréments de transport le cas échéant, quitte à faire taire ces voix qui prenaient de l’ampleur jour après jour.
Au sein même des « forces de l’ordre »,
cette réputation est sous-entendue. Un agent de police ou un gendarme qui a l’ordre
de matraquer un « chômeur diplômés » en exercice de ses droits au
travail lors d’une « bataille », agit différemment en temps de « paix »
serait-ce parfois au sein même des commissariats. Il manifeste son accord
tacite soit-il et sa solidarité car en fin de compte il dot avoir chez lui, si
ce n’est pas un fils, un frère ou une sœur, un parent « chômeur ».
Pour le contexte, un week-end dans mes débuts dans la « section locale », j’étais de voyage en compagnie d’un ami. On était en route dans « un grand taxi » (Mercédès 240 blanche avec les fameux 7 places !!) vers une ville renommée à l’époque pour la vente de produits divers de contrebandes. En cours de route, des passagers descendaient et autres remontaient et à un moment donné nous nous sommes retrouvés seulement deux, dans le siège arrière du « Taxi » en compagnie du chauffeur. Le gendarme de service sur cette route, devait nous arrêter comme à quoi on pouvait s’attendre ! Un « grand taxi » avec deux passagers derrière, cela attise la curiosité ! Stop. Le brigadier voulait connaître notre destination associée à nos professions en s’adressant directement à nous ! Sans détour !! « Bon sang ! » je me suis dit « Quel merdier ! » C’est rare de tomber dans un piège pareil, à la rigueur cela revient dans des conversations avec des inconnus qui vous posent les mêmes questions... mais là ! Attention c’est l’autorité ! Qu’allais-je répondre, moi, « chômeur de ma vie » ? Que moi aussi je travaillais comme employé de pharmacie tel mon accompagnateur ? Dieu merci, ma spontanéité dans la réponse, dictée par mon inconscient remis à zéro, a pris le dessus et m’a fait sincèrement et ... courageusement répondre :
« Moi,... je fais partie
des diplômés chômeurs » !
Quel
soulagement !
Après le signe qui en disait long du gendarme manifestant une solidarité aussi inconsciente que spontanée, car à l’écoute du « terme », il a donné ordre au chauffeur de circuler sans un mot !!
Mon identité était d’ores et déjà bien forgée ! et de sitôt bien ancrée !!
Je suis un ANDCMiste.
Chômeur,
oui ! Mais « associationniste ! » Autrement dit « Manifestataire ! » J’aurais aimé l’exprimer plutôt en dialecte marocain « min
hamili chawahid al moâttalin » (qui veut dire en français : les
tenants des diplômes et qui font partie de ces manifestants ! Nuance !!).
J’étais fier ! Mon combat était légitime !
Je faisais bonne route !!
Décidément !
Je le suis toujours d’avoir fait partie de cette organisation exceptionnelle unique en son genre dans la région de l’Afrique du nord peut-être bien aussi dans le monde qu’on appelle « arabe ». Il viendra un temps où les historiens, anthropologues, sociologues et autres, se pencheront sur ce détail du Maroc contemporain. L’ANDCM compte déjà ses martyres auxquels, moi « chômeur de la politique de mon pays » je dois mon salut pour être sacrifiés pour moi. Pour avoir dit à voix haute « Je réclame mon droit au travail » L’ANDCM où j’ai enfin appris que rien que le fait d’avoir un passeport, droit universel et qui va de soi de nos jours, ne l’était pas au Maroc il y a quelques années où il fallait faire autant de sacrifices et de lutte pour l’avoir.
« Pourquoi un passeport ? »
« Tourisme ? Viste d’abord les coins de ton bled avant de voir ailleurs ! » Pas loin que pendant les années 70.
De cette noble association qui sans le vouloir, porte sa mort dans son objectif prioritaire et définitif d’un côté et de l’autre s’est vu être confrontée en premier lieu au « droit à l’organisation » et donc à encadrer des milliers de personnes dans un contexte historique qui risquait la dérive et l’anarchie pour ne pas dire la « révolution » pure et simple : le mot qui dérange le statu quo ! qu’en restera-t-il si les militants arrivaient à être casés ? Et pourtant l’État marocain n’en a su que faire. A faire déclarer par le biais de son fameux ministre de l’intérieur de l’époque, au cours d’une des tentatives désespérées d’un faut dialogue avec l’exécutif de l’Association, qu’une telle organisation « lui a glissé les doigts !». Lui, pourtant bras droit du pouvoir et qui était justement à la tête de la « mère des ministère ». Lui, qui avec d’autres subordonnés et des lèches bottes camouflés en politiciens de dernière génération, était sensé gérer toutes les affaires du royaume.
C’est
ainsi aussi que les heureux représentants parlementaires ou communaux, sans prendre
des initiatives émanant de leurs responsabilités et sans ouvrir de dialogues
réels et sérieux, allaient laisser ces demandeurs de droit venant manifester leur
dégoût prés des institutions législatives ou communales, à la merci du gourdin.
Que dis-je ? A la merci aussi de procès et jugement scandaleux et
d’accusations à tort et à travers. Bref à la merci d’un système judiciaire dépendant,
compromis aussi et défectueux.
Le lecteur s’en doute bien, les érudits chômeurs créateurs de cette organisation, étaient confrontés à résoudre l’inéquation selon laquelle, il fallait être d’une part, efficace pour manifester le droit au travail, mais d’autre part, légal dans un pays se vantant d’institutions quoique sans âme. Mais devant des agissements injustes vis-à-vis des ayant droit, on n’allait jamais reconnaître officiellement un tel rassemblement quoique remarquablement organisé, de personnes – pourtant de caractère pacifique et civilisé aussi- et encore moins autoriser des manifestations locales ou pire, organisées au niveau central, à Rabat la capitale, lorsque la situation l’exigeait, par la participation de toutes les « sections » de l’ANDM venues de tous les coins du pays.
C’est bien claire, l’ « esprit» instigateur
et auquel on fait face est bien judicieux encore une fois. Te reconnaître
c’est te donner la légitimité de dialoguer avec lui et par là, à le critiquer.
Et ça, niet ! Seulement parvenir à hausser la voix et encore, en plein
jour et même plus, après un préavis et distribution de tracts, et en agissant comme
si l’on était « officiellement » reconnu, constitue en lui-même un défi. Relevé
avec bravoure. Avec beaucoup de sacrifice certes mais relevé. Ce n’est déjà pas
mal, devant cette machine.
Mais ceci est ma philosophie à moi.
Sur le terrain on pense pain.