Et à propos de l’image de marque, personnellement, je m’en rends bien compte maintenant que je me revois à l’époque ou je n’osais même pas demander un café en crédit au serveur ou au gérant du café même où j’étais un client fidèle qui ne pouvait s’absenter que pour une force majeure. Un consommateur bien présent deux fois par jour, la matinée, un café très serré servi dans un ver pour bien voir la couleur et la petite mousse marron dessus, et l’après-midi, un thé. Lorsque je manquais d’argent de poche et encore dans mon « quartier général » même, mon lieu de séjour habituel. Ce n’était pas de mon genre, moi type bien intègre, qui a apparemment tout ce qu’il faut et qui consomme à chaque fois qu’il se manifeste. Comment me permettrais-je une gaffe pareille? Alors, impossible de m’installer au café pour éviter tout désagrément, je n’arrêtais pas de me trimbaler dans les rues de la petite ville qu’est la mienne, poches vides mais déclinant toute invitation d’éventuelles rencontres amicales ou familiales en prétextant une occupation majeure et en feignant un dynamisme de zélés.
Par ailleurs il fallait bien compenser le temps passé habituellement dehors et pouvoir rentrer chez moi comme à l’accoutumé, à l'heure habituelle. Une défaillance à ce train-train de ma part risquait d’éveiller les soupçons des badauds. Un grain de sable dans cet engrenage bien rodé et silencieux pouvait déstabiliser mon rythme tranquille et engendrer beaucoup de bruit. Car chez nous on se guette les uns les autres. Cela fait partie de notre culture. Un simple touriste de passage vous le ferait remarquer :
Rien qu’à voir la manière de la disposition des chaises et tables dans les plates-formes longeant les cafés pour comprendre que les clients ne sont pas disposés à s’installer tout autour des tables, mais plutôt en des rangées parallèles, donnant face à l’avenue, pour voir ce qui s’y passe, épier, surveiller et bien observer pour ne pas commettre l’erreur sur les personnes ou les choses, question d’être sûr de ses racontars. C’est à peine si on discernait un prix pour les meilleurs connaisseurs, ceux qui sont au courant de tout ce qui se passe dans le quartier.
Aujourd'hui le Maroc |
Ainsi, en ces temps de chômage qui s'installe d'une manière persistante, une opportunité s'offre aux incultes et à la racaille de la société, pour occuper un emploi, et qui, plus est, dans les sphères de l'"Autorité"
« Tu n’égalerais pas unetelle, qui, à peine écoute le nom d’une famille, est capable de te dire si à cette adresse on a reçu des invités le jour même ! » : on ironisera ainsi sur des ragots entre des jaseurs.
Il y en a même qui vous prennent vos heures de passage à côté, et qui ont le culot de vous le faire remarquer, indirectement soit-il, quand ils en ont l’occasion. « On dirait un chat ! Quand il passe le matin, règle ta montre, mets-toi à l’heure ! c’est vrai quoi! .. puisque je te le dis !» dira-t-on.
« Je le
connais pas vraiment, j’aimerais tant le voir, le dévisager, je vous le jure, c’est
le fils de mes voisins, on se connais nous ! mais lui.. ! j’en entend
parler mais je n’arrive pas à l’imaginer ! ..Je suis honteuse !»
Ainsi m’a surpris, une vielle dame de la maison voisine, une fois que je l’ai
croisée chez nous, en présence de ma grande tante paternelle qui était de
visite chez nous ce jour-là et qui lui demandait de « prier sur notre prophète
en le voyant ! ». Comme je n’étais pas de ceux qui font des réunions
au coin de la rue sur leur chemin, en sortant ou en rentrant chez eux, mais qui
se contente seulement d’un « salut » ou un signe de tête de loin,
culture oblige, je fais perdre les références à tous les curieux qui, quand ils
entendent parler de moi, se sentent gênés à l’idée de ne pas me reconnaître
physiquement. Tout le monde devrait connaître tout le monde du moins de vue si
ce n’est personnellement.
« Chômeur de luxe!», ainsi que j’étais présenté,
un de ces semblables jours, par un professeur de français, un ex-voisin qui pensait
bien faire –il faut le dire - à ses camarades, sans qu’il se rende compte que
je n’avais pas le moindre centime sur moi aussi bien fringué que je paraissais,
mais en faisant bien allusion à mon niveau d’étude.
Un diplôme d’université française, et qui chôme !
Vous vous rendez compte? Un Chômeur de luxe ! »
Et moi, gêné,
je ne savais comment le prendre et ne pensais qu’à déguerpir, le plus tôt possible
car décidément on allait me montrer du doigt à chaque fois que je passerais par
là et à chaque fois que je ferais mes balades dans les « passellos »
de la grande avenue. Tellement la nouvelle se répand dans tout sens comme un
gaz et tellement les terrasses des «cafés» se jouxtent à la manière d’une ville
touristique mais à laquelle manquent les palmiers et la plage.
Face à mon sort dans de pareilles situations et par peur d’être blessé dans mon amour propre par les interrogateurs et les fouinards, je me blessais moi même sans m’en rendre compte. Combien de fois je me suis privé de sortir et donc -qui sait ?- raté une occasion quelque part. Des fois je me repliais sur moi même en me posant d’interminables questions comme si j’étais envoûté par je ne sais quel démon jusqu’à imaginer que je ne m’en sortirais guère. Moi, qui ai eu toujours un moral de fer, je frôlais le découragement total parfois. Surtout en période de crise matérielle familiale, car en somme, mon bien être et mon moral de toujours je le devais à la condition de vie des miens. Ce sont eux qui m’ont épaulé depuis les premiers jours que j’ai réalisé que j’étais bel et bien tombé dans la gueule du loup, et que, subitement, la chance qu’on m’accordait avoir auparavant alors que j’étais étudiant et que je réussissais tant bien que mal, s’était évaporée. Comme si c’était des efforts consentis mais à crédit. « La chance est comme une baguette de pain, plus on en mange, moins il nous reste ! » : ainsi que je me disais en lançant tous azimut, à tort d’ailleurs mais pour me résigner à ce qui allait être ma situation dorénavant et pour digérer à l’avance ce qui devait arriver par la suite prévu comme pire.
En somme, en plus des obstacles naturels qui rendent difficile une recherche d’emploi, on se préparait déjà à l’échec ! Voilà que notre psychologie en prenait des coups aussi successifs au fil du temps et d’opportunités malencontreuses, qu’inconscients. L’on ne se rendait même pas compte tant que c’était son image qu’il fallait sauver, dés lors qu’on rejoignait la masse des gens en formulant des jugements tout faits et tout préparés vis-à-vis de problèmes de société bien ancrés.
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