Alors psychologie ou pas, en tout cas je me sentais effectivement doublé pendant plusieurs années par un des « autres » en moi. C’est d’autant plus vrai que je ne me sentais pas bien dans ma peau dans diverses situations. Un « autre » qui avait une emprise inexpliquée sur moi. C’est cet « autre » qui était gêné, en réalité, dés que je sortais de mon fief habituel et peinard ! De mon univers. C’est lui qui m’infligeait et me contraignait à donner une image plutôt ornée de moi, telle que la veut les autres, ou qu’on croit -à tort ou à travers- que la société veut.
Quand je pense, à l’heure qu’il est, que les semblables de l’espèce que j’étais, qui se comptaient et se comptent toujours par milliers, je ne peux que me lamenter paradoxalement, sur leur sort. Éparpillés ici et là, dans des terrasses de cafés de fortune et aux coins des rues, désœuvrés, inertes, chômeurs de leur société, ils souffrent en douceur. Entre, d’une part, l’expression d’un besoin de compassion et de coup de main salvateur qui leur sortirait de leur marasme et désastreuse réalité et, d’autre part, l’expression d’une apparence telle qu’ils se forcent de donner d’eux même; ils sont piégés! Partagés entre un «moi» réel et un «moi» apparent. C’est malheureux de le dire mais c’est à ce point que les apparences chez nous –dans l’ensemble- priment sur les réalités !
Mais que l’on se rassure, à l’heure que j’écris et que l’écriture commence à s’adapter à moi, je ne suis plus, finalement, de ces « autres ». Ces faibles qui n’auraient même pas le courage d’avouer, en pleine discussion ou conversation improvisée dans un compartiment de train par exemple, qu’ils n’ont pas d’emploi et qu’ils chôment. Par peur d’être amenés à justifier leur voyage par train et encore en 2ème classe. D’ailleurs ce n’est même pas la peine de le préciser, depuis le temps qu’on a supprimé la classe économique -la 4ème classe comme on l’appelait ! - alors ! Je ne sais sous quel prétexte d’ailleurs, à moins que l’on ait voulu écarter ce type de clients qui, ne pouvant payer le trajet, fuyaient les contrôleurs des « chemins de fer » en passent carrément par-dessus les wagons et mettaient ainsi leurs vies en danger ! Mais depuis quand s’intéresse-t-on vraiment à la vie des citoyens dans mon pays ? A commencer par les accidents de la circulation routière dont nous sommes devenus, à voir le nombre de victimes chaque année, des champions dans le monde. Et à finir par les corps jetés par la mer de ceux qui tentent de traverser le détroit avec n’importe quel moyen. Ces « harraga » (brûleurs), comme on les nomme péjorativement pour le reste, car accusés de « brûler » en réalité l’image du pays ! Et dont ceux qui restent vivants mais arrêtés par la garde espagnole, revendiquent en criant « buscar la vida ! Buscar la vida ! ». « Buscar la vida » : Chercher sa vie, chercher son pain ! Comme si cette vie n’aurait pas le droit d’exister dans leur pays d’origine ni ce pain d’ailleurs. Mais jusqu’à devenir insouciant de sa vie justement qu’on veut sauver. C’est aussi étrange à comprendre qu’il est devenu de mise chez les jeunes des régions les plus démunies et marginalisés du maroc, et de défit même -on dirait- que d’arriver à l’autre rive, mort ou vif. La rive du « nord », celle qui différencie les riches des pauvres de ce monde.
Mais force est de constater maintenant, que nos trains, à les voire, sont devenus de marque, car n’est-il pas au fait le but recherché : donner la belle et séduisante image de soi à l’autre ?
Je ne suis plus de ces « autres ».
Ces gens dociles comme un troupeau qui ne regardent que par terre mais qui se
surprennent et crient « Oh msakhet ! » quand ils voient des mains
levées vers le haut suivant une cadence de voix bien rythmée lors d’une
manifestation ou d’un sit-in dans la rue ou devant une institution ou un établissement
et dont les membres réclament un droit ou expriment un malaise social. Plus
encore, ils sont préoccupés par le « comment des choses » alors que « le
pourquoi » est laissé plutôt pour les ... spécialistes ! A l’insu des
moutons. Ceux qui notent tout, du plus petit détail jusqu’aux doléances écrite
sur les banderoles passant par les slogans clamés, pour justifier un salaire
la plupart du temps informel correspondant à une besogne non officielle ou par
procuration, l’intéressé chargé de l’affaire ne voulant pas se faire connaître
et donc se faire « griller ».
A ces « autres »,
à qui on a envie, nous qui sommes en plein événement dans de pareilles situations, de les ménager en
leur dirigeant le regard plutôt vers le « haut ! »
-
« lis ce qu’il y a écrit en haut !
Bon sang ! Arrête de me regarder moi, là , surpris de m’y voir parce que
tu me destinait à autre chose dont moi j’ai pas idée ! Mais écoute ce que
je demande ! »
Histoire de leur faire lever la tête et de là peut-être leur agrandir le champ visuel. Ces « autres » en somme, qui ne vivent que par les autres et ne trouvent ni le moyen ni l’inspiration qui devrait les diriger vers eux-mêmes.
Manif. ANDCM |
Le dialogue continue :
-
« Ils veulent tous avoir un
travail décent et bien payé mais alors qui ferait cordonnier, menuisier, éboueur,
.. » Fait remarquer notre garçon.
Un tel esprit cherche à expliquer le malaise vécu en lui donnant des
raisons d’être quitte à accepter sa condition de vie, faute d’éducation et d’enseignement
et donc de connaissances, trois dilemmes dont souffre notre système éducatif et
encore quand il est disponible !
brûleurs des têtes de moutons |
D’ici là, j’ai peur qu’il nous en faille énormément d’effort, de ressources et de temps pour renverser la situation et changer cette manière de pensée bien ancrée.
Ces « autres », malades à l’idée de savoir que les autres les jugent à leur juste et vraie valeur mais non à l’image qu’ils s’efforcent de donner d’eux-mêmes.
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