La culture du
« café » est telle que chaque habitué devrait avoir le sien. Être connu
pour faire partie des clients d’un café appelé tel ou tel. Ainsi la famille et les
amis (et qui sais-je d’autres ?) ont une référence. « Untel ? Il
fréquente le café Tel ! » Je dirais même, dans notre culture locale :
« dites-moi quel « café » vous fréquentez je vous dis quelles
gens vous côtoyez et donc qui vous êtes »
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Photo: Expert Maroc
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Le « café » s’il est un lieu pour se
rencontrer entre amis, pour bavarder, commenter, discuter et même faire des
affaires, c’est malheureusement aussi et par la force des choses, un lieu pour
tendre les oreilles et écouter, pour jaser, moucharder ou tout simplement par
curiosité maladive. Et les clients des salons intérieurs sont totalement
différents de ceux qui occupent les terrasses. Autant les premiers s’occupent entre
eux et s’adonnent à ce qui les intéresse et les préoccupe sans se mêler des
affaires des autres, autant les deuxièmes se montrent curieux et indiscrets.
Il suffit de voir commet sont disposés en lignes parallèles les chaises et les
tables le long de la terrasse de nos « cafés », donnant dos à la façade
du bâtiment et regardant en face la rue, pour se faire une idée. Sur les
esplanades de nos cafés on observe, on guette, on épie, pas seulement les
passants et passantes mais tout y passe. Pas question de s’asseoir autour de la
table fut-ce un groupe d’amis. La terrasse
n’est pas faite pour ça !
Les « cafés »
ont poussé comme des champignons au Maroc et dans tous les quartiers car cela s’avère
un bon investissement pour les uns et une aubaine pour nos jeunes sans travail
ou nos étudiants aussi. C’est tout de même une idée ingénieuse qui d’un côté,
si elle exploite une proportion pas mal d’habitants qui disposent suffisamment
de temps oisif à ne rien produire d’importance matérielle, de l’autre, elle a
permis à des milliers de personnes d’en faire un espace de passe-temps, de réflexion,
d’échange et de divertissement à bas prix et d’alternative à d’autres types d’attroupements
dans les coins des rues où ça sent la drogue et la délinquance sans contrôle.
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Photo: Bladi.net
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Le « café »
reste un lieu d’habitude que vous, chômeur de votre situation, vous vous créez
pour avoir l’illusion de faire quelque chose d’important. Pour votre clique d’amis
et compagnons, vous l’êtes. Un jour inhabituel parce que vous étiez occupé ou
devriez vous décharger d’une tâche, ou passée une journée chargée pour un motif
quelconque, et vous vous stressez car vous n’aviez pas eu le temps de faire un
saut au « café ». A ce propos et pour l’anecdote, une fois j’ai été
présenté à un étranger, français de nationalité et qui, venant de Rabat la
capitale, était en visite de travail dans notre petite ville quelques jours car
il était en collaboration au Maroc. Il n’a pas caché son choc de voir et d’écouter
des gens qui se plaignent de non-travail alors qu’« ’ils continuent à
dépenser de l’argent passant leur temps dans les cafés » dit-il. Du reste
c’est une remarque habituelle des touristes à qui on explique mal la situation
à écouter certains guides ! Commentaire auquel j’avais répliqué par une
question : « Qu’attendez-vous de quelqu’un dans notre situation ? »
Il aurait préféré semble-t-il, comme ils l’auraient pensé plusieurs idiots de
notre société, « qu’ils s’enferment chez eux ?». Le « Café »,
de ce fait est au Maroc un espace de se défouler faute de s’asphyxier pour les
raisons connues et tues, une salle qui met en attente tous les espoirs par
contraste. Un lieu où on
peut trouver la perle rare : celle qui vous permet de tomber sur un
courtier de l’emploi, sur un intermédiaire pour un visa ou sur, le cas le plus
heureux, un ex-ami qui vient vous passer le tuyau et vous donner le coup de
main dont vous avez besoin.
Le « café » c’est
tout cela à la fois. Alors, qu’espérer
d’un jeune vivant dans une petite ville, et qui plus est, diplômé
universitaire, à la recherche d’un travail pas facile à trouver sinon dans une
grande ville où le voyage coûterait des centaines de dirhams sans parler des
subsistances qui vont avec dans sa démarche ; sinon qu’il aille au « café » :
là où les informations s’échangent aussi, là où on peut accéder aux annonces
des journaux (quoique fausses par moments, publiées seulement pour la loi ou
pour maquiller les embauches frauduleux et des faux concours ou entretiens!).
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Au Maroc,
donc le « café » est un espace privilégié. Un domicile collectif et
secondaire. Un coin qui procure à ses clients une certaine renommée, une catégorisation
au sein de la société. Vous êtes connu, tous savent qui vous êtes et au chômage,
mais vous êtes respectés. Un espace où tous les types se côtoient pourvu que le
respect soit mutuel. Les fonctionnaires, les étudiants, les chômeurs, les
commerçants et vendeurs ambulants, les artisans et les métiers divers. Sans oublier
la part des réunions informelles pour tout type de groupe : associations,
partis politiques, et mêmes des services de renseignements et j’en passe.
Le « café »
nous conditionne aussi. J’attendais le moment propice de l’arrivée du café posé
sur la table par l’ami serveur pour allumer ma cigarette à l’époque où je
fumais.
Au « café » pour qu’il jette sa souffrance et ses déboires.
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