De mon univers paisible donc, je suivais tout ce qui se rapportait à l’emploi, et en finissant par le suivi de ce qui se passait véritablement sur le terrain telles que des manifestations de chômeurs de tout bord : diplômés, docteurs, infirmes, porteurs de lettres royales, etc. Et j’en connais d’autres même, parmi ceux qui n’ont jamais pu manifester leur cas parce qu’ils n’arrivaient pas à se joindre entre eux pour constituer une cellule supplémentaire ajoutée à ce paysage contestataire montant, tellement dispersés géographiquement dans le pays. Celui des victimes du fameux programme « Programme National de Formation-Insertion PNFI » du CNJA (Conseil national de la jeunesse et de l’avenir), qui, une fois formées et ayant passé le stage de quelques mois, se sont vu leurs postes auxquels elles étaient destinées dans des communes ou des institutions publiques de l’État, déjà pourvus !
« Vendus » !
Si je
devrais reprendre texto des propos d’une grosse légume et visage parlementaire connu
de ce qu’on appelait « l’opposition » à l’époque et à en croire mon
ami très intime, un autre chômeur de longue date qui plus est, plus âgé que moi
et titulaire d’une licence en biologie, après moult déceptions à décrocher un poste
quelque part dans une industrie ou un laboratoire, et piégé par les
circonstances dures de la vie (perte des parents et l’avancée dans l’âge), s’est
retrouvé exercer le métier de « fossoyeur » pour ne pas dire creuseur de
tombes tout simplement pour pouvoir « salir adelante » comme disent
les espagnols et survivre, et encore aidé en cela par un parent qui vivait de
la sorte et qui a bien voulu partager avec lui la besogne se faisant vieillot.
Avec une expérience similaire à la mienne avant la croisée des chemins entre
nous, il avait fait ce PNFI et pas seulement ; ayant fini le stage
pratique de quelques mois dans une institution publique, précisément dans le
service des hygiènes dans la municipalité de la ville de Rabat où il devait se
rendre et se débrouiller pour se loger durant cette période. Et le jour
« j » donc, il était désagréablement surpris d’entendre
explicitement et sincèrement l’amère vérité :
- « Rien à faire, la vérité est
là ! Vos postes ont été simplement vendus » !
Il n’était
pas seul à recevoir cette douche froide. Avec d’autres victimes, alors qu'ils
étaient en train de se renseigner sur l’exécution de la suite du programme par
l’intégration, en essayant de prendre contact avec des responsables du
CNJA. Des propos aussi claires et directs de la bouche d’un parlementaire
et cadre administratif connu comme adhérent au parti politique des
« opposants », ne pouvaient trouver leurs explications que dans le
contexte politique de l’époque qui allait apparaître au grand jour par la
suite. Dans les hautes sphères du pouvoir, on préparait ce parti avec d’autres,
à jouer le jeu de l’alternance dans le gouvernement entre 2 groupements politiques,
manigance du régime pour apaiser les tensions sociales et montrer une certaine
ouverture vers la transition à la démocratie vers la fin du règne de Hassan II.
Conforté dans les informations qu’il aurait tenues, ce parlementaire pouvait se
permettre le luxe de stigmatiser même indirectement, les services du fameux et
fort ministre de l’Intérieur Driss Basri de l’époque, qui auraient vendu ces
postes réservés initialement à des chômeurs formés à cet effet par el
CNJA. Une telle déclaration aurait-elle été peut être interprétée aussi
comme un acte de vengeance de politique politicienne.
Pire
encore, un autre élu du peuple, de ceux bien actifs et qu’on voyait souvent à
la télé pendant les fameuses transmissions directes des questions orales au
Parlement, s’était montré solidaire avec ces stagiaires perdus et déconcertés
ne sachant à quel saint se vouer, d’autant plus que parmi les bénéficiaires de
ce programme figuraient des diplômés originaires de la région qu’il
représentait, avait pris connaissance de tout le dossier et avait promis de
« poser la question » imminemment au fameux ministre au cours de la
séance des « questions orales ». Ben Voyons !
Bien sûr, est-il utile de rester cloué devant le poste de la télé
chaque séance du mercredi, à regarder ces cirques joués « en live »
entre les protagonistes dudit Parlement en y accordant l’espoir qu’un jour on
écoutera la réponse d’un ministre face à la question supposée être posée ?
Ni le problème était posé, ni une réponse était donnée ! Après la saisie
de tous les éléments du dossier par ce dernier fervent représentant du peuple,
que penser de ce qu’il en aurait fait ? Marchander vraisemblablement avec
le ministre considéré pour en tirer une faveur. Le faire chanter sans
doute sur le rythme de la déception des malheureux chômeurs formés !
Imaginez l’intensité de la désillusion d’un « chômeur » parmi les vétérans dans sa ville et qui était à un pas de .. sa salvation !! Le Sisyphe de son patelin!
Pour le rappel, non moins de 2000
jeunes diplômés en chômage de longue durée allaient ainsi pouvoir bénéficier
d’une formation qualifiante complémentaire d'une durée allant de 3 à 9 mois et
sur la base d’une prospection rigoureuse des besoins tels que l’on annonçait
officiellement. « Former pour insérer de façon productive et non former
pour former », telle a été la logique de base qui soutenait apparemment
toutes les démarches entreprises dans le cadre de ce qu’on appelait PNFI dans
le cadre du CNJA. Une démarche somme toute raisonnable car montrait a priori
l’enjeu double : d’une part, combler des carences au niveau de
la fonction publiques en approvisionnant des services avec des fonctionnaire
diplômés, et d’autre part rendre une part de sa dignité au jeune préposé
(chômeur de longue date) qui se sentirait utile et en aucun cas que son État
lui ait fait une faveur ! Quel double espoir !!
Cette histoire ajoutée à la mienne que j’expose, et à des milliers
d’autres, me ramène à cette institution une fois de plus, du CNJA (Conseil
national de la jeunesse et de l’avenir) créée en 1991 en réponse à un début
d’effervescence qui commençait à se faire sentir notamment dans le milieu des
jeunes fraîchement sortis des universités qui s’ajoutaient chaque année aux
précédents, et qui commençaient à subir directement les conséquences d’une suppression
massive des postes d’emploi dans le secteur public, planifiée par des
politiques économiques antérieures qui brandissaient le besoin de restructurer
l’économie nationale pour l’adapter au marché mondiale mais qui répondaient en
réalité aux exigences du FMI (Fond Monétaire International). Cet organisme a
été présenté la première fois aux Marocains comme un outil qui allait mobiliser
tous les pouvoirs de l’État pour caser chaque année un grand nombre de
demandeurs d’emploi. Officiellement il a été chargé de contribuer à
l'adaptation des systèmes d'éducation et de formation aux besoins de l'économie
du pays, à la préparation adéquate de l'avenir des jeunes marocains et à
la réalisation de leur insertion dans le système productif national. Il devait
participer d’une stratégie basée sur une conception décentralisée du développement
et d’une approche régionale partant des spécificités et des besoins identifiés
localement. A cet effet des sections ont été créées dans certaines régions
autour du thème de la promotion de la création d’entreprises par les jeunes
dans les Provinces correspondantes. Parmi les activités qui incombaient à
ce conseil lors de sa création et stipulées dans le « Dahir » de
constitution, on annonçait la mise en place d’une cellule d’aide et
d’assistance aux jeunes promoteurs, l’organisation de séances de formation et
les possibilités de financement de certains projets et ce par la mise à la
disposition des jeunes du matériel nécessaire. On avait défini des zones
d’actions prioritaires, des programmes pour l’assistance à la création
d’entreprise, et pour la promotion économique en milieu rural. Quant au
Programme National de Formation-Insertion (PNFI), il a vu la contribution des
établissements relevant de la Direction de l’Enseignement Supérieur, de
l’Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail, et de
la Direction de la Formation des Cadres.
Malheureusement
le CNJA lui-même s'est rendu à l'évidence et a qualifié, par la suite, la
réalisation de son programme par une tâche ardue, pleine d’embûches en avançant
des arguments comme la complexité des problèmes de montage des formations, la
difficulté de cerner avec précision les besoins dans la conjoncture économique
difficile qui a régné pendant cette phase de lancement. Et à cela s’ajoutait la
contrainte du financement qui n’a pas suivi avec la rapidité souhaitée
prétendait-il. C’est ce qui expliquait aussi selon le Conseil, la modestie des
effectifs de bénéficiaires. Or, cet organisme avait commencé par des
enquêtes nationales, tant auprès des jeunes chômeurs et diplômés, que sur
l’encadrement des entreprises et le système éducatif ainsi que
l’administration. Des enquêtes qui, nul n’a besoin de le souligner, ont permis
de prendre de court les mouvements de protestations qui étaient en gestation en
ce sens que, la majorité des jeunes y mettait un grand espoir et devait
une fois de plus attendre.
Attendre !
En réalité, le CNJA n’a été qu’un organe par le biais duquel les
autorités marocaines et les tenant du règne, voulaient dépolitiser et
monopoliser la gestion du dossier par les pouvoirs publics, selon une étude
publiée en 2007 sur une plate-forme de revues en sciences humaines et sociales.
L’objectif du Conseil était la promotion de mesures qui stimulent l’autonomie
de la jeunesse à l’égard du secteur public au moment de chercher un emploi, et
l’intégration de chercheurs d’emploi de longue date comme actions prioritaires
pour résorber ce malaise qui commençait à s’installer dans la société. En
effet, la première étude de cet organe a été consacrée à « l’évaluation
et l’identification de l’échantillon de la population concernée par le
problème, s’arrogeant par-là la définition de la catégorie mobilisable au
détriment des groupes revendicatifs. La concurrence entre ces derniers et le
CNJA va rapidement se traduire par la dénonciation par celui-ci d’un supposé
culte à la fonction publique des mobilisés, alors que ceux-ci vont critiquer
les travaux du Conseil » pour reprendre la même
étude. Finalement, pour sortir de l’impasse, les travaux du CNJA ont été
considérés officiellement et déclarés comme ayant eu seulement un caractère de
recommandation !! Si bien que son influence effective reste limitée à la
création d’un consensus dépolitisé - pense-t-on - sur l’orientation que doivent
suivre les politiques publiques en matière d’emploi. N'est-ce pas là un revirement
par rapport au décret de 1991 ?
Une manière de gagner du temps en laissant, faux espoir
donné, cette jeunesse livrée à son propre sort, c’est-à-dire à se brûler les
méninges pour se trouver des solutions elle-même, à être obligée de se recycler
sans orientation programmée vers des nouveaux débouchés qui résultent faciles
dans le métier de « marchands ambulants » dialectalement appelés
« Ferracha » ou comme « chauffeurs de taxis », occupations
émanant généralement du fief de ceux qui n’avaient pas eu l’opportunité ni la
possibilité d’être scolarisés avant d’être diplômés, ou à s’entre-tuer entre
ses composantes idéologiques qui naissaient déjà à l’université, d’une
part, de vocation islamiste et donc fataliste, et d’autre part de factions de gauche
mais ayant compris l'enjeu de la lutte des classes. Ou, à meilleur titre,
et considérant le génie marocain, à s’aventurer dans l’entreprenariat en
faisant prendre des risques à leurs entourages et familles ou en hypothéquant
les propriétés de leurs logements parentaux.
Bref, en arabe "Kam haajatan qadaynaaha bi tarkihaa!" disent les « faqihs » (Maintes fois, on a traité des questions posées par un simple « laisser tomber » : si la traduction le permet !) ces disciples et oulémas de la « chariâa » musulmane. Une expression qui en dit long sur la manière de gouverner à la marocaine, le monarque ne se réclamant pas lui-même et dans sa constitution l« ’Émir des croyants » ?
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